lundi 6 août 2012

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Mettre les tripes sur la table

Chaudes et palpitantes

Et puis recoudre

Carnets du grand chemin Julien Gracq

- J'ai plaisir à débusquer ces nuances paysagistes ;
ce sont des acquis qui jamais plus ne se laisseront
tout a fait oublier : l'enrichissement des nuances saisissables
du visage terrestre

-quiconque s'allonge à la fin dans la verdure aussi paisiblement,
aussi complaisamment pour le repos du corps et le plaisir de l'oeil
d'autrui , n'a pas tout à fait perdu sa vie , pas plus que l'homme
qui a planté un arbre ou ouvert une source

- le goût de dire non ; bref ce " laissez moi tranquille dans mon coin
et passez au large "
le prix que j'ai payé pour la très solide assise sur la terre que m'a
apporté cet enracinement

- Car je m'imagine bien souvent que , pour le cavalier insouciant , pourvu ,
libre de son temps et de ses mouvements , qui allait par les routes , jamais la terre
- j'entends celle d'Europe - ne fut plus belle que vers la fin du quinzième et le début
du seizième . Avec encore ses villes de livre d'heures -leurs flèches , leurs tours ,
leurs beffrois , leurs puits , leurs colombages , leurs pignons - serrées dans leurs murailles
comme le bouquet d'une taille de femme prise dans son corset , avec ses forêts noires , ses
campagnes encore presque partout vineuses , et déjà pourtant cet éveil  qui la jetait au-devant
des années et la faisait vivre toute , comme si les glaces d'un hiver séculaire venaient
de se rompre d'un seul coup .

- Quelque excès dans la circulation des sèves terrestres , une générosité plus grande
dans les échanges physiologiques , sont une des conditions du rendement optimum
de l'artiste
Il y a un gros mangeur dissimulé quelque part , soyez en sûr , - même si ce qu'il consomme
d'assimilable est parfois difficile ou scabreux à identifier - dans tous les moteurs
artistiques à haut rendement