
Des hommes et des chevaux passent , des vélos puis des voitures - traversent le village . Des maisons serrées entre elles et le long de la route , elle prend souvent le nom de Grande rue ou du nom de la ville au loin . Dans les grandes villes une rue pousse , puis une autre , un quartier puis un autre - des arborescences en dendrites . On se retrouve dans le méandre de la rivière proche du grand chêne , sur la place du marché ou au forum , dans la rue du haut proche du libraire à la Toison d'Or ou chez toi - une indication pour se trouver . Chaque régime politique - monarchie , république - ou époque - impose sa marque . Une Victor Hugo , une Général De Gaulle , une Jules Ferry , une Voltaire ... les classiques . Mais un boulevard , une rue , une avenue Carnot sont-ils ceux de Sadi ou de Lazare ? Pour s'y retrouver il nous faut un sherpa , il n'y en a pas de meilleur que Jean-Claude Bouvier accompagné de son érudition lucide et facétieuse . Dans son livre - Les noms de rues disent la ville - il explore les différentes superpositions . Celles poétiques depuis les Celtes désignant les lieux , puis celles propres aux villes où les générations d'hommes se succèdent . Il distille les fines remarques par exemple qu'il existe beaucoup plus de rues de la liberté que celles de la fraternité ou de l'égalité ou que les noms républicains sont moins présents en Corse , que la bonne ville de Lyon honore ses médecins ... Dans chaque ville il y a une forte coloration nationale puis des nuances locales plus ou moins présentes . Un nom succède à un autre la toponymie est une branche de la Couchologie
A partir du XVII ième s'opère un basculement " on entre dans une nouvelle ère , celles des toponymes " de décision " créés par les autorités en place , qui supplantent les noms créés peu à peu par l'usage populaire " - page 80 . Les pouvoirs nationaux ou municipaux scarifient l'espace . C'est comme au casino certain rafle la mise, imprimant les mémoires urbaines - d'autres repartent les poches vides . Un Félix Gaillard à la destinée fauchée et désormais oubliée n'est pas sur les plaques de rues . D'autres gloires nationales sont partout , au hasard Anatole France oui France du nom de ce pays que nous arpentons . Pas de grande ville sans une artère à son nom mais plus personne pour le lire , pour se souvenir de son parcours , sa tombe désertée des hommages et des fleurs séchées menacée de ruine se fondait dans son sol natal . Un habitant du coin s'en indigna , mena croisade , elle fût sauvée in extremis . Beaucoup de noms ne sont plus que des sons , des hululements fantomatiques devenus coordonnées GPS . De plus en plus souvent les noms génériques viennent à la rescousse poussent des quartiers de musiciens , d'arbres , de fleurs , d'oiseaux , de peintres impressionnistes ou de chanteurs français - Brel , Piaf , Brassens . L'usage assez récent préconise que les noms accolés aux lieux de circulation soient ceux de disparus . Il y a fort peu de chance que les trois derniers présidents français aient un jour une rue à leur nom - les paris sont pris . Il est aussi possible d'honorer de leur vivant , pourquoi pas une esplanade Thomas Pesquet , une allée arborée Brigitte Lahaie , une de toutes les couleurs Julio Le Parc , et celui d'entre tous qui mérite un grand boulevard , une large avenue ou une sente ombreuse Jean-Claude Bouvier bien sur !