Du vert et du bleu parsemés de moutonnements les passagers de l'avion de tourisme en sont tout apaisés . Le vert tendre et le blanc cotonneux s'assombrissent . Un grand choc secoue la carlingue suivi d'un bruit de moteur ratatouillant - soudain le pilote surgit de la cabine et se met à hurler
- Mettez vos parachutes ! Vite ! Vite ! Le moteur est en feu . Il faut sauter !
Ils sont une quinzaine de passagers et ce ne sont pas des paras . Mais dans l'urgence la formation on verra après . Tous réussissent leur saut et s'égaillent dans le ciel de droite et de gauche . On dirait des aigrettes de pissenlit flottants au gré des vents . Suspendus à observer la verte campagne - l'arrivée est un peu plus chahutée , l'un dans un étang , l'autre sur un toit à la hussard , un dans un pré , un dans les haies , un autre dans un arbre . D'ailleurs ce dernier est resté accroché aux branches , les pieds au-dessus du sol . Il scrute autour de lui et il aperçoit un groupe de gens se dirigeant dans sa direction
- Venez m'aider , venez ... Ils semblent ne pas comprendre . Ils s'en vont alors ils décident de crier encore plus fort pour se dépatouiller de cette situation fort inconvenante . Mais oui ils ont compris , ils reviennent avec un escabeau . Ils cisaillent les sangles , à la manière des pompiers détachant récemment de la toiture d'un stade de rugby celui qui amenait par les airs le ballon du coup d'envoi . C'est fait . Il se confond en remerciements
- Merci merci , merci beaucoup . Permettez moi de me présenter , je suis Roland Barthes .
Il vient d'atterrir dans un coin de cette campagne française qui en compte tant . Il comprend qu'il est le bienvenu qu'un éclair a frappé son avion et aussi le poste électrique de la commune , Que les pluies ont emportées un morceau de route et qu'en attendant qu'elle soit réparée dans un délai de deux à trois jours il est leur hôte . Après s'être changé avec des vêtements prêtés par les habitants il est invité à partager un bon repas roboratif . Au menu un classique bifteck-frites-salade et du pif . Beaucoup de pif à embrumer les avions-renifleurs . Il faut bien se remettre des émotions . Les ventre bien rebondis , ils se lèvent tous , entonnent d'abord de vigoureux chants puis se mettent à faire une farandole en chantant à tue-tête et en faisant tourner les serviettes . Puis on se rassoient avant de recommencer . Entre deux séances Roland la tête rougie par le pif et la chaleur des petits bougeoirs tombe la chemise . Il repense au catch . Il se tourne vers son voisin de table pour lui en parler avec forces vociférations
- Ah le catch aahhhh c'est beau ! C'est magnifique ! C'est splendide ! Ahhhh !
- Vous savez nous préférons les lutteurs , le seul catch que nous admirons ici est celui des mexicains - il y mettent quelque chose d'indéfinissable , ils y jouent leurs vies . Ici c'est plutôt un spectacle pour les enfants ou en amuse-gogos . Tenez si vous voulez vraiment voir un truc exceptionnel venez voir notre Maria , elle pratique l'art de l'effeuillage - elle est chaude comme la braise et belle comme le jour - mais c'est 100 balles . Avant reprenez un bon coup de pif
Nul ne sait plus ce qui se passa ensuite c'était un temps d'avant que tous ne se transforment en caméras sur jambes . Au bout des trois jours menés à un rythme tambour battant , la route fût réparée et Roland s'en retourna . Quelques mois plus tard dans le courant de l'année 1957 le maire monsieur Battiston des Sables reçu dans la boîte aux lettres un livre intitulé Mythologies écrit et dédicacé par leur hôte . Qu'il avait oublié - mais quelle surprise ! Ils décidèrent d'en organiser une lecture publique . La salle était pleine ce n'est pas tous les jours qu'il y a un tel évènement et que quelqu'un parle du pays . Toute l'assemblée reconnue immédiatement ces soirées passées ensemble mais avec une sorte de transfiguration . Les petits bougeoirs omniprésents pour pallier la fée électricité en rade devenant les petits bourgeois - peut-être pour éclairer son texte - mentionnés dix ou quinze fois par pages . Le bifteck-frites ! Et la voiture du père Fournel sa DS ! Le plus extraordinaire étant le moment où il avait disparu avec cette coquine de Maria . Son récit d'aventures leur évoqua immédiatement celui d'un type habitué aux champs de maïs et découvrant l'Amazonie .
Au début la salle se gondola devant les outrances et le souvenir de ces soirées passées sans électricité et en compagnie d'un universitaire tombé du ciel tel une bouteille de Coca-Cola . Puis elle se figea avec la sensation que ce qu'il avait relaté dans son livre était tout du pipeau . Rien de raccord si ce n'est relater son expérience vue au travers de verre granité - tout de biais . Dans ce pays de chasseurs l'un ému plus que d'autres tout à trac lâcha
- Son livre c'est comme tirer sur un éléphant dans un couloir et les cibles c'est nous !
Cela libéra l'assemblée de sa stupeur . Oui il était venu et n'avait rien compris à leurs vies . Le père Fournel en riant dit
- Ce n'est pas bien grave il avait même vomi dans la portière . On aurait dû le mettre en bocal de conserve et lui renvoyer - c'était précurseur de ses écrits
Maria de rajouter
- J'ai commençé à me désaper , il est devenu tout blanc et il a fait une syncope ! J'ai dû le réanimer à coups de grandes baffes et pif et paf
Il se mirent à rire et décidèrent de se servir une belle et bonne collation pour l'oublier . Le maire Battiston resta rêveur à l'écart accompagnant du regard ses concitoyens festoyant . Oui , plus il y réfléchissait plus il avait conscience que ce Roland Barthes n'était qu'un maillon dans une longue lignée , un de ceux qui vous logent une balle entre les omoplates quand vous leur tournait le dos . Il décida de chasser ses noires idées et rejoignit ses amis pour lever son verre , trinquer et le basculer dans le gosier . Brinde !
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